Les Pardons Bretons

Les pardons bretons sont des célébrations religieuses catholiques liées à un culte local en Bretagne. Ils se déroulent généralement entre mai et octobre et sont des manifestations remarquables de la foi, de la piété et de la dévotion du peuple breton envers ses saints protecteurs. Un pardon combine typiquement une messe solennelle dans une chapelle ou une église rurale, souvent dédiée à un saint particulier. Ces célébrations incluent généralement une procession, des chants en breton, latin ou en français, parfois un pèlerinage, et une fête populaire autour de la journée religieuse1. Ils sont donc à la fois des actes de foi, des rassemblements communautaires et des manifestations culturelles.
Le mot « pardon » est utilisé car il s’agit d’une cérémonie pénitentielle au cours de laquelle une indulgence est accordée, généralement lors de la fête du saint patron d’une église ou d’une chapelle. Historiquement, les pardons se pratiquent traditionnellement dans la partie occidentale de la Bretagne, ne s’étendant pas plus loin que Guingamp à l’est. En juin 2021, les pardons et troménies de Bretagne ont été inscrits à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel du ministère de la Culture, dans la catégorie « Rituels », afin de conserver la mémoire et de maintenir vivante cette culture bretonne.

Origines des pardons bretons
Les pardons remontent au Moyen Âge, avec des pratiques se structurant à partir du XVIᵉ siècle. Leur apogée se situe au XVIIᵉ siècle, sous l’influence des congrégations religieuses locales et des confréries. Le Pardon trouve ses origines dans les confréries paroissiales qui se plaçaient sous la protection d’un saint et lui vouaient une dévotion particulière. Les membres de ces confréries se devaient aide et assistance et se réunissaient une à deux fois par an pour rétablir leur unité et se donner un pardon mutue. À partir du XVᵉ siècle, la construction d’églises a permis les premiers pèlerinages, où de grandes assemblées se réunissaient pour obtenir le pardon des péchés, des indulgences, exécuter un vœu ou demander des grâces. Les indulgences octroyées par les papes à partir du XIVᵉ siècle à de nombreux sanctuaires expliquent l’affluence des pèlerins.
Ces traditions religieuses ancestrales s’intègrent dans le contexte plus large du culte des saints locaux en Bretagne, hérité de la christianisation celtique du VIᵉ au IXᵉ siècle par des moines venus d’Irlande et de Grande-Bretagne. Certains pardons anciens sont documentés dès le XIIIᵉ siècle voire le IXe pour Landevennec, comme ceux de Sainte-Anne-d’Auray (début XVIIᵉ), Locronan (XVIᵉ), et Tréguier (déjà lieu de culte au Moyen Âge). Le pardon de Sainte-Anne-d’Auray est le premier à avoir été officiellement reconnu par Rome en 1624. On estime qu’il y en avait environ 4 000 en Bretagne avant la Révolution, et qu’il en resterait aujourd’hui moins de la moitié.

Les pardons bretons sont aussi marqués par un mélange de dévotion chrétienne et de réjouissances profanes, où l’on perpétue le culte du feu, des pierres et des eaux. Très souvent, les pardons s’achèvent par un tantad (feu de joie) ou la bénédiction d’une fontaine sacrée. Cet esprit de communion avec la nature, hérité des anciens Celtes, est toujours présent, les lieux sont assez souvent d’anciens temples celtes. Au Moyen Âge, ce mysticisme populaire inquiétait le clergé, qui le tenait pour suspect et cherchait à le canaliser, notamment les aspects non orthodoxes et les réminiscences de pratiques païennes comme la vénération des pierres ou des eaux. Le clergé a mieux réussi en incorporant ces manifestations traditionnelles dans les rites chrétiens, dédiant les feux de joie du solstice à Saint Jean et bénissant les fontaines guérisseuses.
Principaux Pardons
Les pardons rythment la vie bretonne. Il y a au moins 1 200 pardons célébrés chaque année en Bretagne, mais tous n’ont pas la même ampleur. Les grands pardons rassemblent des milliers de personnes et de touristes, tandis que la majorité sont de petits pardons avec moins de monde mais une grande ferveur religieuse. Parmi les plus connus et les plus importants par leur affluence historique et actuelle, on trouve :
- Sainte-Anne-d’Auray (Morbihan) : Célébré le 26 juillet. Dédié à Sainte Anne, mère de la Vierge Marie, patronne de la Bretagne, des familles et des marins. Le motif d’invocation est la protection familiale, les naissances et la guérison. C’est le plus grand pèlerinage breton. Son record historique d’affluence a dépassé les 100 000, voire 200 000 personnes lors des jubilés décennaux au milieu du XXᵉ siècle. Actuellement, il attire entre 30 000 et 50 000 personnes. La statue de Sainte Anne aurait été retrouvée miraculeusement en 1624. Les ex-voto témoignent de demandes de fertilité, santé des enfants, et mariages.
- Locronan (Finistère) : Célébré le 1ᵉʳ dimanche de septembre1920. Dédié à Saint Ronan, missionnaire irlandais qui aurait guéri la peste dans le village…. Les motifs d’invocation incluent la protection contre la peste, les maladies et la mauvaise récolte. Il est classé « Plus beau village de France ». Son record historique dans les années 1920-1930 atteignait 20 000 à 30 000 participants. Actuellement, l’affluence est d’environ 8 000 à 15 000 personnes. La Grande Troménie de Locronan, un parcours sacré de 12 km jalonné de croix et de huttes abritant des statues, a lieu tous les six ans, la prochaine étant prévue du 13 au 20 juillet 2025.


- Tréguier (Côtes-d’Armor) : le troisième dimanche de mai pour le pardon de saint Yves spécifiquement…. Dédié à Saint Yves, patron des avocats, des juristes et des opprimés/pauvres…. Originaire de Tréguier, il est un modèle de justice. Le pardon honore la profession d’avocat et attire des milliers de pèlerins du monde entier, souvent des professionnels du droit, qui se réunissent sur sa tombe. Les motifs d’invocation concernent la justice et la défense des pauvres, avec des ex-voto pour des demandes d’aide juridique, succès scolaire ou professionnel. Son record historique atteignait 15 000 à 20 000 personnes dans les années 1920-1960. Actuellement, il attire entre 6 000 et 12 000 personnes.
- Folgoët (Finistère) : le premier dimanche de septembre pour Notre-Dame du Folgoët…. Dédié à Notre-Dame de Folgoët (Marie), suite à une apparition mariale. Les motifs d’invocation sont la protection maternelle et la guérison. Son record historique était de 25 000 à 30 000 personnes dans les années 1930-1950. Actuellement, l’affluence est d’environ 6 000 à 12 000 personnes.
- Sainte-Anne-la-Palud (Finistère) et Rumengol sont d’autres grands pardons, attirant plusieurs milliers de personnes. D’autres pardons notables incluent Saint-Mathieu (patron des marins), Saint-Jean-du-Doigt (possède une relique du doigt de saint Jean Baptiste), Saint-Thuriau (fête folklorique), Guimiliau (chapelle remarquable), Pont-Croix (tradition maritime), et Saint-Loc’h (très local), Le Faouët (Sainte Barbe) qui fut longtemps le 4 ème plus important de Bretagne…. Le choix du saint est souvent lié à une légende locale, une tradition orale, ou la volonté d’une communauté.

Valeurs des pardons bretons
Les pardons sont riches en significations et valeurs :
- Spirituelle : demander la protection du saint, expier ses péchés (d’où le mot « pardon »). La prière constitue une grande partie de la journée, commençant par une messe matinale.
- Sociale : rassembler les habitants d’un terroir, renforcer les solidarités locales. Ils ont une visée de lien social entre voisins. Ils permettent de maintenir vivante la culture bretonne. Les célébrations religieuses sont souvent suivies d’événements sociaux comme des pique-niques ou des combats de lutte (traditionnellement).
- Économique : historiquement associés à des foires agricoles ou marchandes.
- Culturelle et identitaire : Ils sont une racine pour l’identité bretonne. Ils sont considérés comme un patrimoine culturel immatériel. Les fêtes populaires qui les clôturent, avec des musiques et danses bretonnes, mélangent le profane au sacré. Ils reflètent l’histoire profonde de la Bretagne.
La procession est une partie très pittoresque du pardon. Elle inclut dans l’ordre une croix de procession, la bannière du saint du lieu, puis les croix et bannières des paroisses ou congrégations voisines, et enfin les reliques du saint entourées par le prêtre. La foule chante en français, breton et latin. Certains pèlerins portent des ex-voto symboliques dans la procession, comme des fragments de navires pour les marins sauvés, des béquilles pour les anciens boiteux guéris, ou des cordes pour ceux échappés du feu…
Les ex-voto, présents dans les chapelles, sont des témoignages de reconnaissance offerts aux saints après une grâce reçue. Ils sont gravés, peints ou écrits. Ils concernent souvent des guérisons inespérées, la protection d’enfants, la réussite professionnelle ou scolaire, des demandes d’aide juridique (pour Saint Yves), le retour de proches, la protection contre la foudre ou les tempêtes, et la fertilité…. Ils racontent la vie quotidienne, les drames et les espérances des habitants.


Avenir des pardons bretons
Historiquement pratiques largement dominantes avec une participation massive liée à la vie rurale et agricole, et souvent associées à de grandes foires, les pardons connaissent aujourd’hui un déclin numérique en termes de participation religieuse, mais une renaissance culturelle et touristique. La participation est plus sélective, souvent liée à la nostalgie, à l’identité bretonne ou à la spiritualité personnelle. Il y a parfois plus de touristes et de curieux que de fidèles pratiquants. Certains pardons sont devenus des manifestations folkloriques et patrimoniales.
Face à une diminution du nombre de prêtres, notamment dans des diocèses en difficulté, certains pardons doivent se passer d’eucharistie, et les laïcs sont amenés à mener seuls les temps de prière. Pour maintenir la dimension religieuse, les diocèses préparent des schémas liturgiques et des prières pour soutenir les laïcs, les invitant à repenser leur participation dans la liturgie.
Les pardons s’intègrent de plus en plus dans le tourisme culturel et religieux. Les bénédictions de la mer, nées au XIXᵉ siècle, deviennent souvent l’occasion d’une grande fête associant locaux et estivants. Environ la moitié des personnes qui se rendent aux pardons ne seraient pas pratiquantes habituellement, ce qui est vu comme une opportunité d’évangélisation.
Le regain de cette tradition a également vu apparaître de nouveaux pardons plus insolites, fruits de la société contemporaine, comme le pardon islamo-chrétien au Vieux-Marché (créé en 1954), symbolisant le rapprochement interreligieux, ou le pardon de la Madone des Motards à Porcaro (créé en 1979), où le recteur bénit les motos…. Plus récemment, des pardons de camping-caristes ou de surfers ont vu le jour. Certains pardons anciens, bien que moins fréquentés qu’auparavant, continuent d’être célébrés par ferveur et dévotion, parfois grâce à des initiatives de bénévoles ou de nouveaux propriétaires de chapelles….
En conclusion, les pardons bretons représentent un héritage spirituel, culturel et social unique. Malgré une dimension religieuse parfois en recul, leur importance symbolique reste forte. Ils continuent de jouer un rôle dans la construction identitaire bretonne et attirent toujours un public varié, composé de fidèles, de touristes, de chercheurs et de personnes attachées à leur patrimoine. Ils sont des traditions vivantes mêlant folklore et sacralité. C’est une chance pour la Bretagne qui se doit de garder cette tradition et tout faire pour aider les comités de chapelle…
Pardon de Sainte Barbe


